Architectes sous-payés : une profession en mal de reconnaissance ?
Par Marc Ezrati Journaliste – Le Club Immo / Radio J
La publication d’un simple chiffre a suffi à déclencher un débat passionné sur LinkedIn. Celui-ci : les architectes français gagneraient 28 % de moins que leurs confrères européens. En dessous des Espagnols, des Polonais… et même des Chypriotes. Le salaire annuel moyen ajusté : 31 500 €. Un chiffre qui interroge, surtout dans un pays où le secteur de la construction reste dynamique. Mais très vite, les commentaires ont dépassé la seule question de la rémunération. Ce sont les fondements mêmes du rôle de l’architecte dans la chaîne immobilière qui ont été remis en question.
« Ce n’est pas un problème de salaire, mais de place »
Parmi les réactions les plus fortes, celle de David Boschet Ferrer Martinez, architecte d’intérieur franco-espagnol, résume bien l’angle mort du débat :« Le vrai problème n’est pas le salaire. C’est la dévalorisation systémique du rôle d’architecte dans la chaîne immobilière. Tant que la maîtrise d’œuvre sera vue comme une ligne de coût, et non comme une colonne vertébrale du projet, le marché se tirera une balle dans le pied. » Pour lui, l’architecte ne devrait pas être perçu comme un surcoût, mais comme une économie future : « La question n’est pas “combien coûte un architecte”, mais “combien il vous fait économiser par son expertise invisible.” »
« La profession est minée de l’intérieur »
Cette dévalorisation ne viendrait pas uniquement de l’extérieur. C’est ce que pointe Julien Combot, architecte associé chez Rectoverso : « Nous sommes, hélas, les premiers responsables de la situation actuelle. La profession est minée de l’intérieur. Si seulement nous faisions preuve de solidarité et de bienveillance entre nous, une partie du problème serait déjà résolue. » En clair : une course au rabais, alimentée par des appels d’offres toujours plus tirés vers le bas, affaiblit l’ensemble de la profession. Une problématique que l’on retrouve dans d’autres secteurs du bâtiment… mais qui, ici, met en péril l’essence même du métier.
« Une rémunération déconnectée de la valeur créée »
Certains professionnels proposent des modèles alternatifs de rémunération. Jerome Lauranti, directeur de programmes, imagine une logique plus collaborative : « Pourquoi ne pas inventer une rémunération gagnant-gagnant entre maîtres d’ouvrage et architectes, avec un pourcentage sur la marge finale ? » Une idée audacieuse, qui permettrait de sortir de la logique du forfait et d’aligner durablement les intérêts entre ceux qui conçoivent… et ceux qui financent.
« On nous prive de la mission complète »
Mais pour cela, encore faut-il que l’architecte soit réellement au cœur du projet. Ce n’est pas toujours le cas. Julien Combot le souligne amèrement : « J’entends toujours la même réponse : “Ce n’est pas la politique de la maison, on préfère confier ça à un MOEX.” Et pourtant, l’architecte conçoit et construit. » Une mission tronquée, fragmentée, qui fragilise sa responsabilité… mais aussi sa capacité à défendre ses honoraires.
« Le marché nous réserve aux projets de luxe »
Autre verrou pointé par plusieurs intervenants : le seuil réglementaire à partir duquel le recours à un architecte devient obligatoire en France. Pascale Vautier s’indigne : « Le seuil de 150 m² est encore trop élevé. Dans d’autres pays, l’architecte est obligatoire pour toute nouvelle construction. » Même constat chez Pascal Robert, architecte DPLG : « Beaucoup de Français pensent que l’architecte, c’est pour les villas d’exception. Alors que nous savons travailler sur tous types de projets, pour tous les budgets. » Résultat : un marché en dessous des 150 m² leur échappe, contribuant à l’idée que l’architecture serait un luxe, et non un outil démocratique d’aménagement du territoire.
« Former une nouvelle génération d’architectes entrepreneurs »
Face à ce constat, certains prennent les devants. Philippe Gonçalves, ancien président de l’Ordre des architectes, a lancé Archipreneur, une initiative destinée à repositionner les architectes comme entrepreneurs. « Il est urgent de repenser le rôle de la maîtrise d’œuvre — mais aussi d’outiller les architectes pour qu’ils reprennent la main sur leur avenir. » Et il ajoute : « Tant que l’architecte restera perçu comme un poste de dépense, il sera difficile de sortir de cette logique de sous-valorisation. »
« À la fin, il ne reste rien »
Enfin, plusieurs voix se sont élevées pour rappeler le fossé entre le brut et le net. Jean-François Daures, architecte DPLG, dresse un calcul glaçant : « D’après l’ordre des architectes, le revenu net moyen après impôts est de 27k€/an. Une fois la CIPAV, l’URSSAF, la TVA, et les assurances payées… il ne reste presque rien. » Une situation que beaucoup jugent indigne de la charge intellectuelle et des responsabilités juridiques portées par le métier.une revalorisation qui passera par un changement de culture
À travers ce débat, une chose est claire : le problème ne se résume pas à une fiche de paie. Il touche à la culture du projet, à la manière dont l’architecte est perçu, sollicité, impliqué — ou écarté. Tant que l’on continuera à confondre coût et valeur, à reléguer l’architecte au rang de variable d’ajustement, rien ne changera vraiment. Mais les prises de parole sincères, courageuses et concrètes que j’ai pu lire cette semaine me donnent une conviction : le débat est lancé, et il est salutaire. Continuons à le faire vivre.